Les labyrinthes ont une symbolique très forte et ont été utilisés comme métaphore au fil des siècles par de nombreux auteurs, architectes ou religions. L’étymologie de ce mot est incertaine, tantôt issue de labrus, une double hache divine, de Laura, mine, chemin souterrain, galerie, ou de labirion, galeries creusées par une taupe. Ceci tient au fait que les formes labyrinthiques sont présentes dans de nombreuses civilisations sur plusieurs continents et ce depuis la préhistoire. Leur image la plus ancienne semble être celle issue de la spirale, une ligne s’enroulant sur elle-même. Le labyrinthe dit “classique” ou unicursal, se caractérise donc par un tracé simple, dans le sens où le chemin peut être tortueux, mais s’il est déplié, il ne représente qu’une seule ligne continue. Le célèbre dédale grec, au centre duquel se trouve le Minotaure qu’affronte Thésée, est un labyrinthe classique. D’après Umberto Eco si vous déroulez le labyrinthe classique, vous vous retrouvez avec un fil à la main, le fil d’Ariane. Le labyrinthe classique, c’est le fil d’Ariane de soi-même. ( Umberto Eco Apostille Au Nom de La Rose, Le Livre de Poche, Première parution en 1987, dans La métaphysique policière )
Un second type de labyrinthe est dit « maniériste », plus complexe que le précédent, celui-ci présente un grand nombre de chemins possibles qui se soldent tous par des impasses, à l’exception d’un seul qui mène à la sortie (ou au centre). Le labyrinthe maniériste est certainement celui qui résonne le plus dans l’imaginaire collectif. C’est à lui que notre esprit européen pense presque instantanément, alimenté par des images de plans complexes aux multiples croisements issus du paysagisme, de l’architecture, des jeux vidéo, des pages de journaux ou du cinéma. Qui s’aventure dans ce type de labyrinthe, est contraint de choisir et d’adopter une stratégie s’il veut trouver le bon itinéraire. Umberto Eco dit à son propos que “Ce labyrinthe est un modèle de trial-and-error process.” Le labyrinthe maniériste est depuis longtemps étudié comme un objet mathématique, répondant à un principe binaire, mettant en jeu des variables de type Booléenne : Vrai/Faux, Bon chemin/Cul-de-sac. C’est la raison pour laquelle il est assez aisé de créer des algorithmes de modélisation qui peuvent en générer ou en résoudre via un processus d’essai-erreur. Si l’on déplie entièrement ce type de labyrinthe, on obtient un arbre de décision comme on peut en trouver dans les études de probabilités et de statistiques, dans les livres dont vous êtes le héros ou dans les premiers jeux textuels. L’image de l’arbre pour représenter des concepts a traversé les siècles, on peut penser notamment à l’Arbor scientiae, l’Arbre des sciences que dessine le philosophe et logicien Raymond Lulle en 1295, ou le Système figuré des connaissances humaines, l’arbre de la connaissance humaine, présentée dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, utilisant la forme particulière des embranchements pour créer un classement et décrire les relations entre les disciplines. L’arbre est longtemps resté une métaphore de prédilection pour organiser l’information, mais l’arbre n’est qu’un cas particulier des formalisations du savoir d’un ensemble plus grand : les Graphes. Si l’on se détache de la forme des couloirs et des intersections, que l’on se concentre sur l’image générale, tout labyrinthe peut être schématisé sous la forme de lignes et de points, de nœuds. Chaque ligne, ou couloir, est reliée à deux points, sommets, ou carrefours. On appelle ça un graphe. Un terme très répandu, en mathématique comme en informatique, et dont l’étude, initiée par le célèbre mathématicien Leonhard Euler en 1735 et son problème des sept ponts de Königsberg, s’appelle théorie des graphes.
Le dernier type de labyrinthe défini par Eco dans son Apostille au Nom de la rose, est le labyrinthe dit « rhizome » auquel il emprunte le terme à Deleuze et Guattari. Une structure mouvante en perpétuelle métamorphose, sans entrée ni sortie, où chaque chemin est potentiellement le bon et où il est impossible d’établir une stratégie pour échapper au hasard. Celui-ci s’apparente à un graphe, un réseau de nœuds reliés entre eux par des connexions pouvant être modifiées.
“Le rhizome est fait de telle sorte que chaque chemin peut se connecter à chaque autre chemin. Il n’a pas de centre, pas de périphérie, pas de sortie parce qu’il est potentiellement infini. L’espace de la conjecture est un espace en rhizome.”
Umberto Eco Apostille Au Nom de La Rose, Le Livre de Poche, Première parution en 1987, dans La métaphysique policière
Les cartes complexes des villes modernes, faites de carrefours et d’itinéraires multiples, ont souvent conduit à comparer leurs plans à des labyrinthes de type “réseau”, notamment chez les Situationnistes.
Mais la figure du rhizome suscite également un autre rapprochement important avec la grande toile quasiment infinie du Web. En effet, un réseau, constamment en train d’évoluer en traquant sans relâche toutes les navigations et toutes les actions des internautes pour modifier sa cartographie, semble répondre parfaitement à la définition du rhizome évoquée précédemment. Les connexions linéaires, les liens hypertextes, entre chaque sommet sont ici entendues comme “transport” direct d’un point à un autre, et non comme “promenade” si l’on reprend les comparaisons de Tim Ingold dans Une brève histoire des Lignes. Le lien hypertexte est un élément de base pour naviguer sur le Web, ce sont les sommets de notre labyrinthe. Cette notion est née en 1989 au CERN en même temps que le système du World Wide Web, la toile d’araignée mondiale, ce réseau tortueux dans lequel il faut prendre garde de ne pas se perdre ou de s’engluer.
Une définition claire du mot labyrinthe est complexe à trouver tant celui-ci a de significations différentes, mais le sens le plus communément admis est celui d’un édifice construit pour s’y perdre et ne jamais en ressortir, physiquement ou mentalement. Si l’on suit cette affirmation et que l’on accepte de dire que Web est un labyrinthe-réseau, alors il est créé pour perdre l’utilisateur. “Je me suis perdu sur Internet”, qui n’a pas déjà entendu cette phrase un matin, pour justifier d’un air exténué, les yeux rougis, d’un profond mal de crâne ? Dans le labyrinthe, tout comme dans un casino, l’enfermement provoque une perte de repères, notamment temporels. Il est impossible de savoir comment en sortir, mais surtout quand on en sortira, tant le temps tel qu’on le connaît, calculé, fractionné sur les modèles de phénomènes physiques depuis des siècles, semble s’abolir.
Pour définir le mot Encyclopédie lui-même, Diderot choisit de rappeler l’ampleur et la complexité que représente l’écriture de cet ouvrage, et utilise l’expression « labyrinthe inextricable ».
Nous avons vu, à mesure que nous travaillions, la matière s’étendre, la nomenclature s’obscurcir, des substances ramenées sous une multitude de noms différents, les instruments, les machines et les manœuvres se multiplier sans mesure, et les détours nombreux d’un labyrinthe inextricable se compliquer de plus en plus.
Diderot, L’Encyclopédie, article Encyclopédie, 1755
Il est impossible de se repérer dans un labyrinthe de type rhizome, d’autant plus quand celui-ci ne cesse de s’étendre. La seule possibilité consiste à se laisser porter par le hasard avec la sérendipité comme seul horizon possible. La structure du Web s’apparente de manière évidente à un rhizome, mais ce n’est pas ce que voit l’utilisateur. Le monde dans lequel plongent les internautes n’en est pour autant pas moins labyrinthique, il se rapproche seulement d’un type maniériste, un arbre mathématique, calculable et discret (binaire).
« Il en va de même pour les algorithmes qui classent les informations numériques. Ils fabriquent un monde dans lequel nous naviguons et nous nous orientons sans être conscients qu’il a été façonné par le choix des algorithmes rendant visible telle information plutôt que telle autre. Il serait déraisonnable de ne pas s’y intéresser sous le prétexte que ce sont des objets techniques complexes que seuls les informaticiens peuvent comprendre. Sans entrer dans les détails sophistiqués des calculs, nous devons être attentifs à la manière dont nous fabriquons ces calculateurs car, en retour, ils nous construisent. »
Dominique Cardon, Culture numérique, édition Presses De Sciences Po, 2019, dans S’orienter dans le bazar du Web
L’une des plus anciennes représentations d’un labyrinthe a été retrouvée à Luzzanas en Sardaigne, sur l’une des paroies du Domus de Janas. Il est difficile pour les archéologues de dater avec certitude cette inscription, mais elle remonterait au IIIe millénaire av. J.-C.
Construit dans les jardins du château de Versailles entre 1665 et 1673, le bosquet du labyrinthe a été dessiné par le célèbre André Le Nôtre suite à la demande de Louis XIV. Il est aujourd’hui disparu et remplacé par le bosquet de la Reine. Il se détache des labyrinthes du Moyen-Âge dont la portée spirituelle était très fortement influencée par le christianisme, et dont les dessins étaient s’inspiraient du signe de la croix. Il n’est plus question de labor-intus (labeurs au sein du monde terrestre) et de parcours compliqués vers le salut. Comme de nombreux labyrinthes construits à partir du XVIe siècle et jusqu’au XVIIIe siècle, il est conçu uniquement de manière à perdre le visiteur. L’originalité de Versailles résidait dans ses statues représentant des fables qui invitent à la réflection disposées à chaque bifurcation .
Pac Man est un jeu japonais créé par la société Namco et sorti en 1980. C’est l’un des jeux d’arcade les plus célèbres de tous les temps qui marque l’histoire des jeux-vidéos en popularisant un tout nouveau genre : les maze game, les jeux de labyrinthe.
The Colossal Cave est considéré comme un précurseur des jeux vidéo de Role Play ( RPG, jeu de rôle). Le joueur prend le rôle d’un explorateur qui se déplace dans une grotte légendaire où sont cachés pièges et trésors. Il s’agit d’un jeu textuel uniquement, aucune image ne vient supporter la narration.
Le fonctionnement de The Colossal Cave se rapproche d’un livre dont on est le héros mais ne propose pas des choix pré-conçus. À chaque croisement on a la possibilité de donner des instructions simples qui sont interprétées par l’ordinateur.
Le système des connaissances humaines est présent dans le premier chapitre du premier tome de l’Encyclopédie. Celui-ci entend dessiner, d’après ses créateurs Diderot et d’Alembert, la “ Distribution Généalogique (ou si l’on veut Mappemonde) des Sciences & des Arts”. On peut ainsi retrouver la forme d’un arbre généalogique, où l’Entendement se divise en trois facultés principales, la Mémoire, la Raison et l’Imagination, qui elles-mêmes se re-divisent en branches plus petites, comme la musique ou la poésie.
Raymond Lulle est l’un des premiers à chercher à modéliser la réflexion humaine. Dès le XIIIème siècle, il imagine des cadrans, des roues concentriques qui combinent ensembles des concepts et engendrent des énoncés inédits. Il invente une des premières ‘‘machines à raisonner’’, son Ars Magna. Cette forme de cercle fait presque figure d’exception dans l’histoire de la représentation des combinatoires. En effet, on est bien plus habitué à la forme de l’arbre, de l’arborescence, qui a habité les mathématiques comme la biologie pendant des siècles. Cette forme se rapproche, de manière presque prémonitoire, des structures en réseaux préférées aujourd’hui, qui s’inspirent du fonctionnement neuronal du vivant.