Qui contrôle l’information détient un avantage stratégique conséquent. Le pouvoir appartient à celui qui gère les communications, c’est notamment un des points mis en valeur par le Jeu de la guerre de Guy Debord, où l’une des stratégies (militaires) les plus efficaces repose sur la destruction des postes et lignes de communication. L’informatique est un dispositif de pouvoir (Mathieu Triclot) qui applique une stratégie de contrôle, d’emprise, d’influence, sur les individus via le contrôle de l’information. Dans le grand jeu-monde du numérique, la stratégie de la transparence s’avère gagnante. En effet, elle semble être un enjeu actuel important de dédouanement pour les entreprises souhaitant l’approbation des consommateurs. Ce phénomène grandissant ressemble à s’y méprendre à une forme de propagande contemporaine. Une propagande paradoxale reposant non pas sur la désinformation, mais l’hyper-information : une disponibilité exagérée de données trop précises et incompréhensibles par la majorité. Cette data-stratégie repose sur un principe décrit par E. Bernays dans son célèbre livre Propagande en 1928, une instrumentalisation réussie ne doit pas son efficacité à ses mensonges, mais au contraire, au fait de s’appuyer sur la vérité. Dans notre cas, la vérité est l’abondance de données brutes, quand bien même à quel point elles sont illisibles pour le plus grand nombre, l’important est de proposer aux usagers le plus de choses à voir pour entretenir le mythe. Nos données personnelles sont, en quelque sorte, volées, pour alimenter des algorithmes prédictifs. Mais le problème ne se résume pas seulement à protéger son intimité en refusant les cookies et en s’équipant d’un VPN (Virtual Private Network, un service qui permet de se connecter au Web de manière sécurisée et privée en se connectant à un serveur distant et en cryptant nos informations). Le sentiment d’incompétence face aux innombrables couches de codes trop complexes, ainsi que la confiance aveugle en la cyber-sécurité, suffisent à nous tenir loin du réel enjeu : la capacité d’être libre de nos choix. La culture de la transparence devient la propagande d’un data-lavage de cerveau au profit de la “datafication” du monde.
“Le langage numérique du contrôle est fait de chiffres, qui marquent l’accès à l’information, ou le rejet. On ne se trouve plus devant le couple masse-individu. Les individus sont devenus des « dividuels », et les masses, des échantillons, des données, des marchés ou des « banques ».”
Gilles Deleuze, Les sociétés de contrôle Dans EcoRev’ 2018/1 (N° 46), pages 5 à 12
Dans les années cinquante, Guy Debord conçoit son “Jeu de la guerre”. Il s’inspire du Kriegspiel, cette simulation ludique de la guerre développée par les stratèges de la cour de Prusse à la fin du XVIIIème siècle dans le but de former ses officiers. En créant ce jeu, il reprend l’idée de pouvoir s’initier à l’exercice de la stratégie, de la lutte. Pour Debord, le jeu, en permettant d’apprendre la méthodologie d’une pensée critique est un moyen de proposer une contre-attaque à ce qu’il appelle “ Le Spectacle », la passivité généralisée induite par le capitalisme. (Emmanuel Guy, Le jeu de la guerre de Guy debord, L’ÉMANCIPATION COMME PROJET, Édition B42, 2020)