Le développement de l’intelligence artificielle est intimement lié aux jeux, mais le calcul et les mathématiques ont toujours utilisé une certaine forme de narration. La “gamification” est depuis longtemps utilisée par l’Homme dans le but d’enseigner les mathématiques. L’ajout d’un aspect ludique ou simplement d’une situation, d’un cadre, d’une histoire simple, permet d’aborder des questions (problèmes) parfois complexes et rébarbatives de façon amusante et efficace. C’est ainsi que l’on trouve dès l’école maternelle et primaire des formules comme “Si je coupe le gâteau en quatre parts, et que tu en manges une, combien en reste-t-il dans l’assiette?”, “Si tu as deux bonbons…” “Si ton train part à 8h…” La narration est utilisée pour matérialiser, rendre lisible, donner un contexte et sortir de l’abstraction que peuvent être les mathématiques. Autrement dit, une telle narration utilisée à l’école est un moyen malin de représenter des données abstraites en suscitant l’intérêt des enfants. En ce sens, la narration et la capacité de l’homme à penser des histoires, sont essentielles à l’apprentissage et particulièrement à l’apprentissage de notions mathématiques.
Mais revenons à ce mot à la mode dans les bureaux marketings du monde entier : gamification, ou ludification en français (de ludus, jeux, amusement). Le Dictionnaire le Robert nous en donne la définition suivante : “Application de mécanismes ludiques à ce qui ne relève pas du jeu”. Le philosophe Mathieu Triclot nous l’explique autrement : “On peut définir la gamification comme le fait de transférer des mécaniques du jeu, et du jeu vidéo en particulier, vers des situations sociales, pour les rendre plus « fun »”. La gamification consisterait donc à rendre ludique une activité dépourvue de « fun » à la base, en y incluant des tactiques de motivation issues des jeux. Les domaines d’application sont nombreux, l’éducation bien sûr, qui comme nous l’avons vu y a déjà recours sous une certaine forme, mais aussi la politique, le sport, le marketing, le travail, la vie… Des entreprises ont même dévolu leur activité entière à la création de « jeux sérieux » (serious games), utilisés pour la formation et la stimulation du personnel.
La gamification met alors en oeuvre des techniques issues du jeu de rôle comme la fixation d’objectifs pour accomplir une mission « challengeante » (quête, tâche), les récompenses (feedback en temps réel), la compétition, la collaboration par équipe (clan, guilde), des statuts (niveaux) à atteindre en gagnant des points (XP). Comme le scande le titre d’un article du Monde, la gamification est une forme d’instrumentalisation du jeu où celui-ci est censé permettre de stimuler la créativité, générer de l’engagement et augmenter l’expérience utilisateur.
Le numérique a également ouvert une nouvelle ère inspirée des jeux-vidéos, celle des Avatars. Nous sommes invités, grâce à de nombreux outils de customisation, à modeler des identités numériques singulières, sur les réseaux sociaux mais pas seulement ! Car chaque service en ligne propose sa propre version du “Profil” avec une photo, une présentation…. Les possibilités d’adaptation sont infinies, que ce soit simplement changer son fond d’écran d’ordinateur, créer son profil facebook, modifier l’interface de son smartphone ou changer la photo de son compte Blablacar. L’explosion de l’usage des réseaux sociaux participe évidemment à ce phénomène d’avatarisation en créant de nouvelles formes de sociabilités qui redéfinissent la frontière entre vie privée et publique. De nouveaux outils de personnalisation ont profondément modifié le rapport à soi, à l’identité. Chacun désire exprimer, voir afficher sa propre singularité, son appartenance à un groupe (guilde), en se modelant sa propre identité numérique tout en utilisant les mêmes outils, se soumettant ainsi aux mêmes règles du jeu, aux mêmes tendances et aux mêmes modes. Ce phénomène de standardisation des outils n’impacte pas seulement les utilisateurs d’instagram et leurs filtres. Il s’est aussi imposé au monde de la création, en témoigne le monopole d’Autodesk, ou celui d’Adobe qui a su ériger un véritable empire auquel on ne peut échapper, dès sa première année en études d’Art, de Design.
Les “codes” hérités de la culture numérique des templates et des avatars se déportent aussi au monde matériel, créant une industrie reposant sur des produits pré-fabriqués en série, en temps réel. Cependant, si le consommateur peut modifier et agencer certains éléments constitutifs de son produit, il reste limité par un catalogue créé au préalable par l’entreprise, il se contente de suivre la branche d’un arbre de décision marketing dessiné pour simuler “l’unique”.
La gamification, dont le champ d’action s’agrandit avec l’internet des objets, se développe de jour en jour. Mais un monde entièrement gamifié où naviguent des avatars est-il souhaitable ? Sur le papier, tout porte à croire que c’est absolument fantastique. Qui s’opposerait à rendre son existence un peu plus fun ? Si l’on pousse le concept à son paroxysme, le prix à payer pour transformer son existence en aventure, faite de paliers, de feedback et de niveaux de récompense est peut-être un peu lourd à payer. Pour faire partie du jeu, il faut accepter de fusionner avec le programme, d’être enregistré, tracé, traqué en continu. Il faut accepter que sa vie tourne entièrement autour d’objectifs préconçus, et d’entretenir une logique de compétition, de course aux meilleurs scores, toute sa vie, 24h/24. Une demande de prêt à la banque dans le but d’acheter une maison pourrait alors exiger d’avoir obtenu le badge “En couple depuis 3 ans » et de valider les quêtes suivantes: “ Visite de 10 maisons”, “Enquête de voisinage”… Le monde gamifié que l’on commence déjà à entrevoir aboutit à une existence surveillée, calculée, une existence en pointillé, discrétisée, oscillant entre défaites et récompenses, une dystopie du fun.
“ We are all now stuck in a science-fiction novel that we’re writing together”
Kim Stanley Robinson, The Coronavirus Is Rewriting Our Imaginations, New Yorker, le 01 mai 2020
L’automobile “à la carte”, est l’un des exemples les plus frappants de cette tendance qu’est la personnalisation. L’objectif est de donner le sentiment à l’acheteur qu’il s’offre un modèle unique, qu’il aurait presque conçut lui même. La communication de la Gamme MINI joue énormément sur cet aspect, et en a fait son principal argument marketing.